Voilà plus de dix ans que, avec l'apparition d'Internet, je collectionne précautionneusement les divers écrits à propos des concerts et des opéras qui se déroulent un peu partout dans le monde.

Ne pouvant plus me déplacer dans les salles de concert en raison d'une invalidité, je me disais, qu'en faisant cet inventaire je pourrais avoir au moins les avis de ces divers chroniqueurs, étalant leur connaissances musicales.

Je crois que le temps est venu de faire une synthèse des documents relevés, - certains pourront à juste titre se connaître en tant qu'auteurs de ces chroniques – et de donner mon opinion sur ce phénomène que jadis la presse écrite ne pouvait autoriser.

Un peu d'histoire auparavant :

Le métier de critique musical s’est développé en même temps que la presse écrite et que la démocratisation progressive de l’accès à la musique, dans la seconde moitié du XIXe siècle. Il est, d'abord spécialisé dans un genre bien particulier (classique, rock, chanson, etc.).Le critique musical écume les concerts de sa spécialité et en présente les nouveautés.

Or la critique musicale n’est pas une matière enseignée dans les écoles de journalisme, et ne correspond à aucune règle. Le seul moyen de devenir à peu près "pro" en la matière est d’écouter un maximum de disques, de toutes les époques et de tous les pays, d’aller sur le terrain. Et, même en se documentant du mieux que l’on peut, même en se tenant au courant de toutes les manières possibles (Internet, festival, bouche-à-oreille, presse), la vérité est impossible à atteindre. "Ecrire sur la musique, c’est comme danser à propos d’architecture" ("writing about music is like dancing about architecture"), dit l’adage.

En presque 50 ans de bons et loyaux services, la critique musicale a évolué avec son temps. Exit les lectures romanesques des chroniques narratives, place aux formats plus courts et aux vecteurs numériques.

Il existe divers types de critiques. Leur activité peut varier en fonction de leur spécialité, mais tous présentent des points communs. Généralement, il s’agit de collaborateurs externes au média, signant souvent d’un pseudonyme et intervenant à intervalles plus ou moins réguliers.

Emile Vuillermoz (1898 – 1960), fut le premier critique musical français : imaginez un critique musical qui commence sa carrière avec la première représentation du Pelléas et Mélisande de Debussy à l’Opéra Comique en 1902 pour l’achever sur la création parisienne du Château de Barbe-Bleue de Bartok en 1959, et trouve le moyen, entre temps, d’expliquer à ses lecteurs, de façon parfaitement compréhensible, la toute nouvelle technique dodécaphonique d’Arnold Schoenberg : ça n’existe pas !

Et bien si justement, en la personne d’Emile Vuillermoz auteur de la remarquable histoire de la musique toujours éditée par Fayard dans une version complétée par Jacques Lonchampt, disciple de Vuillermoz et ancien critique du Monde. Ce dernier vient de faire oeuvre de fidélité et d’intelligence en rassemblant un vaste choix d’articles du premier de nos critiques musicaux du XXe siècle (1).

C’est tout un pan de la culture française qui nous est ainsi restitué, car non seulement ce livre survole toute la vie musicale et lyrique française de la première moitié du XXe siècle - époque essentielle et brillantissime - mais il le fait dans une langue étonnamment moderne et proche de nous. Avant lui, les critiques musicaux se recrutaient parmi les compositeurs connus, de Berlioz à Fauré dont Vuillermoz fut d’ailleurs l’élève au côté de Ravel.

Mais il fut le premier à se vouloir journaliste, médiateur entre les créateurs et le grand public, bref, vulgarisateur au sens le plus noble. Son style est d’une clarté qu’on dirait pédagogique : ainsi, s’il ne partage pas l’admiration de certains pour la méthode des douze sons de Schoenberg, cela ne l’empêche pas dans ses articles de la définir et de l’expliquer avec une parfaite honnêteté à ses lecteurs afin qu’ils se fassent librement leur religion musicale.

Le premier, il pressent et explique l’originalité et le génie de Debussy et s’il n’apprécie guère le livret du Château de Barbe-Bleue, il saisit et proclame dans ses comptes-rendus la profonde beauté de la musique de Bartok. A un siècle de distance, il nous livre le témoignage d’un connaisseur avisé assistant à l’avènement d’un monde nouveau produisant des instantanés qui font mouche comme les débuts parisiens d’un jeune homme de 22 ans embarrassé par son génie nommé Horowitz, ou ceux de deux virtuoses russes de l’archet Heifetz et Menuhin.

Des anciens passent aussi dans cette galerie de portraits, de Ninon Vallin à Marguerite Long en passant par Wanda Landowska, Gieseking, Kempff, Lipatti, Callas, Samson François, Rostropovitch, Toscanini répétant à Salzbourg, Furtwängler dirigeant Tristan à l’Opéra de Paris en pleine guerre ou le météore Karajan… Car Jacques Lonchampt ne cache rien des compromissions de Vuillermoz durant cette période où il participa par ailleurs à la création des Jeunesses Musicales de France et de leur Journal qui fut l’école de toute une génération de musicologues et de journalistes et de mélomanes français, (dont votre auteur ! NDLR)

(Jacques Doucelin)

Gilles Cantagrel, critique musical incontestable écrit :

"Or la critique musicale est un exercice beaucoup plus difficile qu’on veut bien le dire. Elle demande des connaissances, de la sensibilité et du goût, une grande expérience, aussi, à défaut de pouvoir prétendre à quelque objectivité. Est-ce d’ailleurs nécessaire, quand il s’agit d’abord d’une affaire de goût ? Charles Baudelaire a commenté les Salons de peinture, mais aussi quelques concerts dans des articles pénétrants – il est l’un des premiers admirateurs de Wagner en France, quand le Tout-Paris mondain le conspue. Baudelaire, donc, écrit en 1846 : « Pour être juste, c’est-à-dire pour avoir sa raison d’être, la critique doit être partiale, passionnée, politique, c’est-à-dire faite à un point de vue qui ouvre le plus d’horizons ».

La question se pose, à voir la part toujours plus exiguë qui lui est accordée dans les médias au regard de ce qu’elle était il y a un siècle, à l’exception du monde visuel de l’opéra. Et en effet, à quoi bon commenter a posteriori un événement unique et éphémère ? Le critique d’art peut jouer un rôle prescriptif en matière d’exposition, de pièce de théâtre, de sculpture, d’architecture ou de livre, pas le critique musical – à l’exception toutefois du domaine du disque. Comme le livre, le disque se veut promis à une longue carrière, et l’amateur demandera au critique de l’éclairer sur les qualités d’un enregistrement pour orienter son choix. Toujours et nécessairement subjectif, le commentaire critique peut cependant lui proposer un certain nombre d’informations objectives.

Reste l’épineuse question du commentaire de la création contemporaine, qui devrait être la fonction principale de la critique musicale. Le formidable sottisier des erreurs d’appréciation des œuvres nouvelles depuis deux siècles – sottises, du moins, selon notre approche actuelle avec le recul du temps –, de la part de commentateurs souvent insuffisamment informés ou compétents, a conduit aujourd’hui bien des journalistes à se cantonner prudemment dans des propos lénifiants de type impressionniste plus que réellement argumentés. N’empêche que la récente création du premier opéra du jeune compositeur britannique George Benjamin, Written on skin, au Festival d'Aix-en-Provence, a pu faire l’unanimité du public et des critiques.

Christian Merlin, critique musical au Figaro, nous raconte le métier de critique musical : Un métier qui a changé depuis le XIXe siècle quand les grandes plumes de la critique étaient aussi compositeurs et que Schumann saluait le génie de Chopin. Aujourd’hui, les médias généralistes accordent moins de place à la critique, partant du fait qu'elle appartient désormaisà tout le monde sur Internet. C'est un tort : pour autant, la critique de qualité, celle qui forme le goût, guide le néophyte et redouble le plaisir de l’écoute par celui de la lecture, exige toujours les mêmes vertus : intégrité, finesse de l’écoute, capacités d’analyse et bonheurs d’écriture.

Encore faut-il savoir que la critique n'est pas toujours bien vue : au compositeur Pascal Dusapin à qui l'on demandait avec qui il aimerait en découdre : « Renaud Machart, parce que c’est le plus mauvais critique de musique que Le Monde (le quotidien, NDLR) ait jamais eu. C’est un type nuisible qui jouit de sa méchanceté. Ce que tout le monde sait d’ailleurs ». Fin de citation.

Sans doute Renaud Machart, que l’on entend régulièrement sur France Musique, n’a pas besoin de moi pour se défendre. Mais le goudron et les plumes que lui promet Dusapin constituent à l’évidence une preuve irréfutable que ce dernier n’est pas un homme "de bonne composition". Lequel m'a avoué – déjà en 2009 -que son journal (Le Monde, dont il assure la critique musicale) ne lui donne souvent pas la place dont il aurait besoin…

Voilà, à mes yeux ce que sont, et doivent être de véritables critiques musicaux, les chroniquers du web n'étant que d'ordinaires petits scribouilleurs !

Dans la réalité, la plupart des chroniqueurs musicaux sont des mélomanes ou des amateurs éclairés bénévoles ; mais bien peu sont eux-mêmes musiciens. Certains toutefois, plus rares, sont d'un niveau de formation et de compétence, voire de pratique musicale plus élevé que d'autres.

Il reste quand même curieux de constater comment notre effectif national de "chroniqueurs musicaux" s'est gonflé et continue de progresser : il n'y a guère de mois sans qu'apparaisse sur les supports que j'ai pour habitude de lire régulièrement, de nouvelles signatures.

Aujourd’hui, le public mélomane à qui s’adresse la chronique souhaite une information rapide sur l’actualité, et autant que possible objective plus que passionnée. D'où, fréquemment, des chroniques de concert qui tiennent sur moins d'une demi-page de ce format… Et il y a des spécialistes ! Un peu léger, tout de même !

Découvrir des talents inconnus, suivre la carrière des grands interprètes, s’informer sur les œuvres nouvelles, peut-être également suivre l’évolution de l’interprétation musicale et de la création. Dans les faits, la chronique répond-elle à ces nécessités ?

Car c'est un exercice périlleux que celui consistant à donner un avis argumenté sur un évènement musical. En effet, la chronique d’un concert ne consiste pas en un simple étalage d’informations harmonieusement agencées. Elle devrait être un appel ! Appel à ceux qui n'y ont pas assisté pour qu'ils le regrettent ou s'en donnent raison. Comme derrière tout chroniqueur se cache un être humain habité d’émotions, d’envies et de préférences, l'objectivité n’est que rarement de mise.

Je crois que tout chroniqueur, débutant ou confirmé, devrait de plier aux principes suivants :

D'abord, se relire ! défaut majeur, rencontré chez tous ceux qui ont hâte d'être lus les premiers ! Or un article mal écrit est un article ridicule ! Car le lecteur pourra alors aisément critiquer le journaliste et non plus l’artiste !

Tenir ensuite compte ensuite des critères d'évaluation suivants qui devraient être leurs douze commandements :

1) Qualité de la langue, choix du vocabulaire utilisé,

2) Orthographe / Ponctuation : sur ce point, nécessité impérative de respecter les règles de la syntaxe

dactylographique (i.e. les mêmes que celles de l'imprimerie – encore qu'aujourd'hui, elle prend grandement ses aises !.

3) Syntaxe / qualité de l’expression écrite,

4) Mise en page correcte (titre accrocheur ou provocateur, introduction, découpage en paragraphes cohérents et contenant chacun leur somme d’arguments pertinents, conclusion sous forme d’avis personnel argumenté),

5) Propreté et soin dans la présentation,

6) Qualité et pertinence des arguments,

7) Découpage en paragraphes, cohérent et pertinent (prévoir 1500 à 2500 signes, espaces compris)

8) Prendre le soin de rédiger un titre accrocheur !

9) Jamais n’utiliser le « je » mais le « nous ». On parle pour un groupe, pas pour soi-même ! On peut utiliser également la troisième personne impersonnelle,

10) Humour, ironie, comparaisons avec d’autres artistes sont les bienvenus !

11) Pas de dialogues ni de discours rapportés !

12) Sans omettre qu' une chronique critique de disque se rédige à l’indicatif présent !

 Il faudrait donc ici à mon sens, ne plus parler de critique musicale mais de "nouvelle musicale".

A la longue, je crois qu'il devient de plus en plus indispensable de faire une sérieuse distinction entre ce qu'est véritablement un critique musical, et un simple chroniqueur musical. Car la différence est de taille !

 

Un exemple de texte non relu et d'orthographe défaillante :

Habitué à être dirigés par leur directeur finlandais, les musiciens du Philharmonique de Radio France trouvent sous la baguette d’Osmo Vänska couleurs et puissance pour développer la Symphonie Inextinguible de Carl Nielsen, faisant suite au Concerto pour violon de Tchaïkovski joué sans aucune sensibilité sous les doigts de la Japonaise Sayaka Shoji.

Décrié à leurs sorties, les programmes de saison du Philharmonique Radio France et du National de France à l’Auditorium de la Maison de la Radio proposent pourtant de nombreux ouvrages rarement joués, avec une sélection plus française pour le National et plus nordique pour le Philharmonique.

(Altamusica, Vincent Guillemin, chronique "Direction Nord", 03.12.2016).

Trouvez les fautes !!!