Très tôt, mes parents avaient discerné chez moi une oreille musicale : tout petit, j'avais reproduit d'un doigt sur le clavier du piano de ma marraine les notes de la Marseillaise entendue peu avant par une fanfare dans la rue…
Très jeune, j'ai donc commencé l'étude de la musique chez un professeur qui m'enseignait la base du solfège. Je m'y barbais royalement : je voulais jouer du piano ! ce que comprit très vite ma mère : je changeai de professeur et pris mes premières leçons de piano chez une certaine Melle Faffeur, qui habitait square Gambetta, juste au-dessus de l'École Jean Jaurès. Elle était pour autant que je me souvienne particulièrement emmerdante avec la tenue des mains sur le clavier : "Vous devez pouvoir faire passer une bille sous vos doigts" me répétait-elle inlassablement. Outre ce souvenir je n'ai que celui, très vague, de certaines auditions d'élèves qui se déroulaient dans une salle de la rue Jean Bringer ; mais mon souvenir sur cette période reste flou. Cela dura jusqu'à mon entrée en 6ème, au Lycée Paul Sabatier, encore à l'époque, rue de Verdun.
Plus tard, à l'issue de ma 5ème, mes parents décidèrent de me changer d'établissement : ma mère, avait été furieuse de l'avis de mon professeur de latin, (je me souviens encore de son nom : un certain M. Gerbal) qui, devant la faiblesse de mes résultats lui avait déclaré : " Que voulez-vous Madame, à cet âge il préfère taper dans un ballon que de bucher son Gaffiot !"… Comme il se trompait, soit dit en passant !
Je préférais déjà les touches blanches et noires d'un clavier de piano à n'importe quel type de ballon…
De demi-pensionnaire, je devins donc pensionnaire au Collège Saint-Stanislas.
Je n'y eus aucune difficulté d'adaptation. Soucieuse de me faire poursuivre mes études de piano, ma mère avait dû faire ce choix car elle a dû avoir le souci de me faire retrouver le professeur que j'avais au lycée, Monsieur Marc Pouillès, chez qui elle m'accompagnait lorsque j'étais au Lycée, au 63 de la rue Littré, tous les jeudi, et dont elle savait qu'il donnait aussi des cours privés à "Stan", dans une pièce qui voisinait avec la chambre de l'Abbé Alcouffe qui dirigeait, au-delà de ses classes, la chorale de l'Ecole, à laquelle j'entrai rapidement, quand me voyant prendre mes leçons, il eut le réflexe de m'y faire venir.
Il m'y répertoria comme "alto", et je rejoignis ainsi toute une bande de copains chanteurs de tous âges. Les répétitions de la chorale se tenaient très régulièrement, au moins deux fois par semaine si mes souvenirs sont bons, et étaient situées à la tribune de la Chapelle de l'École, au pied d'un vieil orgue à deux claviers, alors malheureusement souvent muet.
Cet orgue sur lequel jouaient entre autres les abbés Courtesolle et Subra ne chantait qu'à l'occasion de certaines cérémonies religieuses, et était aussi tenu entre autres, par Monsieur Pouillès, qui était par ailleurs titulaire des orgues de l'église Saint-Vincent. Bien souvent, au lieu d'aller à la messe à la Cathédrale St-Michel, (sauf les cas où la chorale était sollicitée pour des occasions particulières) je me rendais à Saint-Vincent pour pouvoir l'écouter ; tant et si bien qu'un jour je lui demandai la faveur de pouvoir monter à la console pour le voir de mes yeux. Cela devint assez rapidement une habitude, et il profitait alors de ma présence pour me demander de tourner les pages de ses partitions.
Il faut dire aussi qu'à Carcassonne, la messe de 11heures le dimanche à la Cathédrale St-Michel, était le rendez-vous de toute la bourgeoisie carcassonnaise, qui n'avait pour plaisir que celui de se retrouver à la sortie de l'office devant le parvis de la cathédrale, alors que celle de la même heure à St-Vincent, était beaucoup moins fréquentée…
Ainsi, par la suite, l'Abbé Alcouffe me proposa d'accompagner la chorale en prenant l'orgue en mains.
Ma vie de jeune pensionnaire était donc relativement simple et bien réglée entre mes études, mes leçons de piano et les répétitions de la chorale, puis mon entraînement à l'orgue pendant les récréations d'après-déjeuner. Je me suis laissé dire que parfois l'Abbé Reynès, alors Supérieur du Collège venait discrètement m'y écouter… Et j'avais aussi pris rapidement l'habitude de me rendre dans la salle de musique, là ou se trouvait le piano, pour travailler les exercices que je devais faire d'une leçon à l'autre, et qui jouxtait la chambre de l'Abbé Alcouffe, plutôt que de passer le temps des récréations à jouer aux billes avec mes petits camarades. De sire que celui-ci pouvait parfaitement entendre mon travail et mon acharnement à vaincre les difficultés du clavier…
Notre chorale était relativement connue dans le département ; elle était ainsi sollicitée pour participer à de fréquents évènements, depuis les messes de communion solennelle qui se tenaient à la Cathédrale Saint-Nazaire à la Cité, jusqu'au baptême des cloches de l'église de Montolieu, dont je ne me souviens plus de la date. Elle participa même à un concert donné à la Cathédrale Saint-Michel par Georges Cottes à la tête de l'Association des concerts symphoniques, en renfort des chœurs pour chanter l'Alléluia du Messie de Haendel.
Martial Andrieu raconte avec précision dans son blog "Musique et Patrimoine de Carcassonne" l'histoire des Chœurs de la cathédrale de Carcassonne. Avec son aimable autorisation, je prends plaisir à le citer pour les détails dont il est coutumier :
" La naissance des Chœurs de la cathédrale Saint-Michel
Après la Grande guerre, les deux orphéons de la ville en manque d'éléments s'unirent pour former une seule et même association : "L'Union vocale. La jeunesse déjà fragilisée par les années terribles du conflit mondial ne se bousculait pas pour intégrer les chorales, jugées comme désuètes. Chanter sous un kiosque à musique, une casquette ornée d'une lyre sur la tête ne semblait pas les attirer. Les anciens donnaient pourtant l'exemple ; il y avait parmi eux des maçons, des ouvriers agricoles, des forgerons, des employés de commerce. Après une dure journée de travail, ils aimaient à se retrouver autour d'un harmonium pour chanter. La plupart d'entre eux ne connaissait pas une seule note de musique, mais avec beaucoup d'abnégation ils arrivaient à apprendre des pages musicales difficiles.
Dans les années 1930, tout se désagrégea petit à petit. Les plus compétents désertèrent les pupitres, les Concerts symphoniques cessèrent leurs activités, les Orphéons furent réduits à leur plus simple expression. Les quelques chanteurs orphelins allèrent grossir les rangs clairsemés de la Scola Saint-Vincent dirigée par les frères Pouillès. Il faudra attendre le malheur de la déclaration de guerre de 1939 pour voir renaître le chant choral à Carcassonne. La cathédrale Saint-Michel possédait jusque-là une modeste phalange vocale constituée de MM. Rivière, Scheurer, Coste et dirigée par Mlle Planes.
Quelques semaines avant les fêtes de Noël, le chanoine Subreville souhaitait une animation musicale pour la messe de minuit. Malgré la guerre, un chant d'espérance devait s'élever vers les voûtes de la Cathédrale St-Michel. Il s'adressa à Georges Cotte, connaissant ses facultés musicales, afin que celui-ci accepte de relever le défi. Ce commerçant bandagiste de la rue de Verdun, compositeur éclairé à ses heures, réunit ses amis et les fit répéter. C'est ainsi que le soir de noël, tel le phénix, le chant choral reprit force et vigueur à Carcassonne. L'Association des Chœurs de la Cathédrale venait de naître en même temps que l'enfant Jésus.
Vint ensuite l'exode de 1940 qui lança sur les routes de France, des familles entières de réfugiés fuyant l'avancée Allemande. Parmi les nombreux réfugiés Lorrains venus trouver refuge dans l'Aude, deux vicaires de paroisses, dont l'un de Lorry-les-Metz. Ces deux prêtres furent surpris qu'une chorale importante n'existait pas à Carcassonne. L'idée de sa création était lancée et les "Loriots" (Lorrains), vinrent renforcer leurs camarades Carcassonnais. A Pâques 1940, les Chœurs de la Cathédrale étaient officiellement constitués. Pour la première fois, la grande messe de 11 heures fit entendre une Messe de Charles Gounod, accompagnée à l'orgue par M. Tournié. La cécité ne gênait absolument pas ce grand musicien, car Georges Cotte lui transcrivait les partitions en Braille.
L'effectif des chœurs atteignait les soixante personnes en 1945 et des concerts furent donnés à Castres, Mirepoix, Leucate, Revel, Narbonne, etc. En 1954, l'association s'agrandisait avec la création de l'Orchestre des Chœurs de la Cathédrale formés de musiciens locaux, de Narbonne, de l'Ariège et même de Toulouse. Cette année-là fut créé la Messe de Requiem de Georges Cotte, dirigée par lui-même au Théâtre municipal : "L'orchestration de Georges Cotte est tout simplement unique. Elle fait corps avec le piano d'une manière remarquable et, telle, qu'il soit impossible qu'il ait pu en exister une autre." Notons que M. Cotte possédait quelques amis professionnels reconnus comme le compositeur Henry Busser, avec lequel il entretenait des liens épistolaires.
Les Chœurs de la Cathédrale participèrent au Festival de la Cité à l'époque de Jean Deschamps et de Jean Alary. Ils ouvrirent l'édition 1960 avec l'Oratorio de Honneger, où participa la danseuse Ginette Bastien. En première partie, on entendit les œuvres de Paul Lacombe, dirigée par Cotte avec plusieurs solistes du Capitole de Toulouse et de l'Opéra de Paris. Hélas, même les plus belles choses ont une fin... Cette association cessa d'exister en 1961. Le souvenir de Georges Cotte disparaît des mémoires musicales de notre ville, il nous appartient donc de le faire revivre".
Je me suis simplement contenté d'y apporter une précision :
"Il est simplement regrettable, pour vous qui êtes d'une extrême précision, que vous ayez omis l'intervention des Choeurs de l'Ecole Saint Stanislas, sous la direction de l'Abbé Alcouffe, auxquels Georges Cottes s'était intelligemment adressé pour donner plus de puissance à ses choeurs dans l'Alleluia final du Messie, donné en je ne sais plus quelle année et auquel j'avais participé".
Écrit par : Christian Viguié 14h38 - mardi 27 novembre 2018
Là, je me souviendrai toujours de la réflexion de ma grand-mère maternelle, présente à ce concert avec mes parents, et qui m'a assuré que je m'y étais cassé la voix ! Fichtre ! elle devait avoir, elle aussi, une sacrée oreille pour m'entendre au milieu de quelques 150 choristes… !
Il faut que j'ajoute que la chorale eut son heure de gloire : Il était de tradition à l'époque, que chaque année, les Compagnons de la Chanson viennent à Carcassonne, accompagnés des Petits Chanteurs à la Croix de bois, alors dirigés par leur fondateur Monseigneur Maillet.
Je n'ai jamais su comment il s'y prit, mais l'Abbé Alcouffe s'était débrouillé, je ne me souviens plus en quelle année, pour nous faire auditionner par Monseigneur Maillet : cela s'est passé dans les salons de l'Hôtel Terminus où les Compagnons et les Petits Chanteurs faisaient escale, et après audition sous la conduite de Monseigneur Maillet (quelle fierté !) la chorale fut affiliée à l'ordre des Petits Chanteurs. Je n'oublierai jamais la satisfaction et la joie de l'Abbé Alcouffe, enfin reconnu pour sa qualité de directeur de chorale. Ainsi, notre chorale faisait partie de l'Ordre des Petits Chanteurs à la Croix de bosx, et nous en éprouvions tous une bien légitime fierté !
L'un des évènements importants de cette période, était aussi la participation au Royaume de la Musique, de Sylvie Raynaud Zurflüh, soutenu alors par l'Office de Radio-diffusion- Télévision Française.
J'y participai plusieurs fois, et me souviens qu'à la dernière, j'avais été primé et enregistré, jouant alors la marche funèbre de la 12ème sonate pour piano de Beethoven, l'opus 26. Cette année là, rentrant de vacances d'été en Angleterre, (j'y reviendrai plus loin) où j'avais découvert cette sonate, j'avais osé imposer à Monsieur Pouillès que ce serait l'œuvre que je jouerais. Je me souviens qu'à la suite, j'ai "imposé" à Monsieur Pouillès ma volonté de travailler la totalité de la sonate, de façon à pouvoir la jouer intégralement, d'un trait. Ce ne fut pas chose aisée, et cela a bien dû me prendre six bons mois. Mais j'avais la fierté de pouvoir présenter une sonate entière de Beethoven ! Ce qui me permit d'admirer sans limite les interprètes qui enregistraient la totalité des 32 sonates… !
Ah ! les Marches funèbres ! je crois les avoir toutes jouées : celle de la seconde sonate pour piano de Chopin, bien sûr, puis, plus tard les fameuses "Funérailles" extraites des Harmonies poétiques et religieuses de Liszt…, car même si fournies d'accords impressionnants, leur rythme n'était pas de plus difficiles à tenir, elles faisaient beaucoup d'effet sur l'auditoire ! Je pourrais presque aussi ranger dans cette catégorie le célèbre Prélude de Rachmaninov, l'Opus 3 n° 2. Là, je puis dire que toute la famille s'en souvient… d'autant que mon père, désireux de me voir progresser, avait commencé par acheter le disque de la 12ème sonate de Beethoven, dont j'avais enregistré la Marche funèbre sur le magnétophone paternel pour pouvoir à loisir revenir dessus et écouter toutes les nuances ! A cette époque, je profitais de ce que toute la famille allait se réunir dans la chambre de ma grand-mère maternelle pour suivre à la télévision le feuilleton de "Janique aimée " dont je me foutais royalement, pour m'installer à mon piano et y travailler sans "abrutir" personne !
Et puis, tout aussi important et formateur, il y avait les soirées au Théâtre Municipal, animées par les Jeunesses Musicales de France. J'ai l'exact souvenir des débuts de Philippe Entremont, Serge Baudo, et bien d'autres, mais surtout, de celui qui m'a le plus marqué dans mon adolescence pianistique : Samson François.
Dont le concert fut l'occasion d'un pur scandale à la "carcassonnaise" : au moment où il abordait le finale de la sonate Funèbre de Chopin, il y eut un catastrophique chahut émanant du poulailler, qui entraina illico la sortie furieuse de Samson… Il fallut toute la diplomatie de Madame Ménard, (à l'époque déléguée des JMF pour la ville), pour ramener Samson sur la scène et lui permettre de terminer son concert… C'était au cours de la saison musicale 1958-1959, ma carte JMF que j'ai précieusement conservée car elle porte l'autographe de Samson François me rafraîchit la mémoire.
Vinrent alors les (pénibles, laborieuses) années du bac. Sans pour autant abandonner le piano, ce qui n'a pas dû arranger les choses…
La première tranche fut laborieuse, je n'ai ici pas de quoi m'en flatter, et l'option musique que j'avais évidemment prise avec le célèbre prélude de Rachmaninov, l'opus 3 n° 2, ne m'a alors pas tiré d'affaire pour autan… La seconde partie, après un retour au nouveau Lycée (qui avait entretemps abandonné la rue de Verdun) en raison de mes insuccès précédents, inscrit en "Science-ex" fut beaucoup plus aisée. En option musique j'avais alors présenté les 24 Préludes de Chopin, mais je n'ai jamais su si c'était cette capacité qui m'avait valu une mention.
Là fut la fin de ma jeunesse carcassonnaise.
L'histoire n'étant pas finie, je la poursuivrai plus tard.