Sortons, si vous le voulez bien des chroniques habituelles de ce blog à la fois en innovant par l'ajout d'extraits musicaux quand il y aura lieu, et en diversifiant les sujets, pour sortir de la seule musique : n'y a t'il pas dans la vie et plus particulièrement aujourd'hui, d'autres sujets tout aussi intéressants et qui méritent d'être abordés ?
Mais vu l'importance de son développement potentiel, j'aurai désormais tendance pour lui donner un autre aspect que celui d'une simple chronique de faits musicaux, à le traiter un peu à la façon d'un roman feuilleton : "la suite, au prochain numéro " !
Cette nuit, 04h15: réveil pour un besoin hélas bien ordinaire, vu mon âge… et donc, pendant "l'exécution", quasi automatiquement, retour au dernier rêve interrompu :
Paris. Années 1962-1965 : Étudiant.
Je dinais par une belle soirée de printemps chez ma Tante Madeleine, (en fait la tante de Papa), au dessus de chez qui je vivais, au 126 du Boulevard Pereire, car c'est grâce à elle d'ailleurs que j'avais pu trouver ma chambre d'étudiant au 5ème étage ; elle vivait au 4ème étage, avec pour voisins la famille Tchernia !
Je dois tout de suite préciser ici qu'elle était une grande amie de toute la famille Perlemuter, bridgeant régulièrement avec Vlado lorsqu'il n'était pas en tournée, et de surcroît voisine de son frère Jo Perlemuter qui vivait au 1er étage du 128 boulevard Pereire, dont elle m'avait rapproché, compte tenu de mon côté mélomane et pianiste amateur. Fréquemment, Jo avait pris l'habitude de me siffler par la fenêtre de sa cuisine qui donnait sur la cour intérieure des deux immeubles, cour sur laquelle donnait l'appartement de ma tante.
Au cours du déjeuner, ma tante me montre une lettre dactylographiée ou imprimée sur PC, je ne sais, lettre adressée à mon fils Jérôme, accompagnant un cadeau, vraisemblablement un coffret de disques microsillons, et datée de…1950 !!!
Tout lecteur qui me connaît un tant soit peu ne sera pas étonné de l'originalité de mon rêve, puisque né en 1941, mon fils Jérôme, en 1950 était vraiment "en pointillés" puisque né en 1972 !
Donc, changement d'ambiance, pour un retour toujours rêvé mais bien plus proche de mon vécu :
Coup de sifflet de Jo à sa fenêtre : je me lève et lui réponds : Ne levez pas tant la tête, Jo ! je suis à l'étage au dessous, chez Tante Mad' ! et il me crie :"Quand vous aurez fini de dîner, venez vite à la maison j'ai un trésor à vous faire écouter !" Et ma tante, connaissant bien nos impatiences individuelles, me libère rapidement.
Dévaler les 4 étages dans le vieil ascenseur, bondir au 1er étage du 128, juste le temps d'embrasser Jo et son épouse Suzanne, ordre de Jo :"Asseyez-vous là, et écoutez donc"… Jo, comme souvent à son habitude rentrait de sa boutique –il tenait un magasin de tissus d'habillement de luxe- et passait chez son disquaire pour y découvrir les derniers trésors que l'actualité mettait sur le marché. Et ce soir là, avec toute la joie et l'émotion musicale dont il était capable il me fi écouter, d'une traite les 24 Études de Chopin sous les doigts d'un jeune pianiste Premier Prix du Concours Tchaïkovski de Moscou en 1962 : un vrai trésor, une révolution¸ selon ses dires.
Il faut dire qu'à l'époque, Vladimir ASHKENAZY n'était pas encore le pianiste bien connu qu'il est aujourd'hui, notamment pour ses enregistrements de Rachmaninov, d'ailleurs célébrés par André Lischke dans son tout récent ouvrage : "Serguei Rachamaninov, portrait d'un pianiste" tout récemment publié aux éditions Buchet Chastel (voir page 47).
Je voudrais ici faire une pause dans mon récit pour m'attarder un bref instant sur ce pianiste, car il ne fait aucun doute aujourd'hui qu'il est incontestablement l'un des interprètes majeurs de Rachmaninov, on aurait envie d'écrire "l'interprète majeur" ce qui serait déraisonnable, surtout quand l'actualité nous a montré –et elle continue, heureusement !- comment d'autres grands sont venus à sa suite. Pour autant, et sur un plan strictement personnel, je ferai l'aveu que je prendrai toujours comme référence exclusive son interprétation du prélude N° 9 de l'opus 33 : il reste à mes yeux, ou plutôt es oreilles, le seul qui ait véritablement compris comment "jeter" sur le clavier cet accord final qui traduit le désespoir du compositeur. Il en a fait, en réalité de multiples enregistrements, mais là, il atteint l'acmé de l'interprétation. Si le hasard vous conduisait à trouver ce CD (Réf Decca SXL 6996) aujourd'hui indisponible, ruinez vous !!!
Mon rêve s'arrête là. Mais comme il m'a d'une drôle de façon ramené à des moments réellement vécus, je poursuivrai en vous racontant comment j'ai passé les plus agréables souvenirs de ma vie d'étudiant parisien par la fréquentation de Jo et Suzanne Perlemuter, même si j'ai bien connu les deux frères de Jo : Vlado, bien entendu, célèbre élève et interprète privilégié de Maurice Ravel, et Louis Perlemuter, bien longtemps 1er Violon de l'Orchestre National de l'O.R.T.F. promu ensuite 1er Violon du Quatuor de l'O.R.T.F.
J'en profite pour signaler au lecteur discophile amateur qu'il s'agissait d'un microsillon 33 tours 30cm de chez Decca, longtemps disparu puis réédité : j'ai les 2 versions, aujourd'hui épuisées dans ma discothèque, mais Decca a eu le bonheur de le rééditer en CD sous la référence 028947803508 encore disponible chez Amazon, mais sous un stock très réduit dont on ne sait s'il pourra être renouvelé.
Chose curieuse ou étrange chez eux, la Discothèque bourrée de trésors d'enregistrements était placée non pas au Salon mais simplement dans la salle à manger. Était-ce leur façon de dire : "le salon est la pièce à musique" –(il y "régnait" un magnifique piano Pleyel ¾ de queue, de la série F) qui n'avait pas à voisiner avec la moindre chaine HI-FI ? Je ne sais pas, n'ayant jamais osé poser la question.
Très gentiment, Suzanne m'avait donné la permission de m'en servir pour continuer mon travail sous l'aimable contrôle de Vlado ou de sa répétitrice au Conservatoire…
Ma vie d'étudiant à Paris, trois ans durant, s'est limitée à un strict minimum d'heures de présence aux cours de l'École Supérieure de Commerce de Paris, remplacés comme pour bon nombre de mes camarades, par nos activités préférées : bridge pour les uns, (l'École était devenue Championne de bridge des Grandes Écoles Parisiennes), théâtre pour d'autres, voile Olympique encore pour deux frères de ma promotion (JO d'été de 1964 à Tokyo)… et pour moi, la Musique bien entendu, dont j'avais vraiment été trop privé dans ma jeunesse carcassonnaise. Tout ceci, sous l'œil bienveillant de la Direction de l'époque, et qui fut merveilleusement illustré à notre sortie de l'École par un "Trombinoscope" illustré par notre Bureau des Élèves, précieusement gardé, car la légende qui figure sous ma photo en disait déjà assez long sur une activité bien dissimulée au sein de ma famille. Eternel distrait, je remarque à peine aujourd'hui la faute typographique qui s'est glissée dans le commentaire me concernant !
Au risque de décevoir mon lectorat, qui comporte toujours certains membres de ma famille, je ne la dévoilerai pas davantage ici, me contentant de raconter comment, au retour de mes dernières vacances de Pâques en 1965, je fus convoqué dans le bureau du Directeur de l'École, un certain René Villemer, qui devant mon refus d'obtempérer à certaine proposition, m'enjoigna de sortir à l'examen final de nos études dans les 75 premiers de ma promotion. Lourde tâche, n'ayant rien fichu depuis ma rentrée à l'École, et à laquelle désormais je ne pouvais me soustraire.
Oserais-je dire qu'au concours de Beasançon, cette année là, le vainqueur fut un certain Michel PLASSON, devenu bien célèble dans notre région toulousaine où il a métamorphosé l'Orchatre du Capitole de Toulouse, devenu aujourd'hui l'une des célébrités du monde symphonique. Alors j'avoue humblement ne pas regretter de ne m'y être pas présenté....
Nouvelle convocation chez Villemer à l'issue des résultats finaux…Je me souviens très bien encore de la façon dont je balisais en m'y rendant : c'était d'ailleurs la première et unique fois que cela m'arrivait : sa secrétaire m'introduisit dans son bureau. Silence de mort…
"Asseyez vous, Viguié !"… Ouille…
"Bravo, Viguié, c'est bien ! J'avais des doutes mais vous en savais capable… : vous êtes 69ème dans votre promotion !"
Grosse bouffée de chaleur rapidement dissipée sous l'effet de mon franc parler et de mon éternel culot, habituel à l'oral…
"Merci, Monsieur le Directeur, sauf votre respect, je vous ai bien baisé !"
Il se leva, souriant, m'invitant à en faire autant, et se dirigeant vers la porte, m'y accompagna, me mettant une main sur l'épaule gauche, et me lançant : "Bonne chance, bon vent pour vous !"
Je redescendis dans la cour, jambes encore flageolantes, retrouver mes camarades
"Sup de Co", comme nous disions, c'était bien fini, Paris aussi.
Voilà. Et pendant que j'écris à la lueur de ma petite lanterne, il y en a un autre qui doit lui, non pas rêver mais cauchemarder sous les phares républicains de sa Lanterne, car la sienne dispose d'une majuscule : bien incapable de refaire la beauté du Monde, ne serait-ce que de notre beau pays comme il le souhaitait hypocritement , il doit s'époumoner à écrire des textes qui, je le lui souhaite finiront bien par l'étouffer. Qu'il souffre en silence de la même façon qu'il a fait souffrir et agoniser tous ceux que notre brillante médecine, avec toute sa bonne organisation, n'a pu sauver.
Amen.